La politique du Moonwalk, dénoncée par Kévin FAURE
Lors de la séance plénière du Conseil départemental du Finistère réunie le 9 Février 2024, lors de l’introduction de la séance, Kévin FAURE a dénoncé les nombreux reculs budgétaires en contradiction avec la volonté de la majorité d’avancer dans toutes les politiques départementales.
Ci-dessous, le propos liminaire complet :
Monsieur le président, Chers collègues,
2024 est une année où l’olympisme animera le pays tout entier, sous le regard attentif de la planète entière. Quelques jours après la fin de Janvier, j’adresse néanmoins à toutes et à tous, mes meilleurs vœux. Des vœux pour que les 7 valeurs olympiques et paralympiques, d’amitié, de respect, d’excellence, de détermination, d’égalité, d’inspiration et de courage rayonnent auprès de chaque finistérien pour cette nouvelle année.
Cependant, loin de ces nobles valeurs olympiques, c’est désormais un vocabulaire guerrier qui prédomine : réarmement citoyen, réarmement économique, réarmement agricole, réarmement politique. Sommes-nous en guerre au sein même de notre pays ? Un appel au réarmement pour que nos concitoyens s’arment : s’arment de quoi ? s’arment contre qui ? La nouvelle génération revendiquerait davantage d’ordre et d’autorité. Est-ce ce qui justifie le vocabulaire martial voire autoritaire, parfois infantilisant ? “Réarmement citoyen” des propres mots du Président de la République ou “Tu casses tu répares, tu salis tu nettoie” de la part du nouveau premier ministre. Il me semble que c’est davantage de sens et de cohérence qu’attendent les français, notamment les plus jeunes. A mes yeux, cette perte de repère découle d’un manque de cap, de boussole, principalement depuis 2017. Le “et en même temps” vanté comme une innovation politique est avant tout un aveu criant d’une difficulté de cohérence, d’une difficulté de projection lucide : c’est bien dommage lorsque l’on entre en guerre, sur le champ de bataille d’avoir perdu ses repères, de confondre sa droite et sa gauche, son Est et son Ouest : on risque souvent de se tromper de camp et d’adversaire.
Fixer un cap pour notre pays est une cause noble et cruciale à l’heure de la montée du populisme permanent, exploitant toutes les fragilités locales et sociales. Nous avons besoin d’un cap clair, et non d’un général chef de guerre voire d’un colonel autoritaire.
Un changement de gouvernement est l’occasion de redonner du sens et d’impulser une nouvelle dynamique : notre pays en a bien besoin. Pour autant, le discours de politique générale de Gabriel Attal suscite des inquiétudes quant aux ambitions portées par ce nouveau gouvernement : détricottage ou mesurettes chacun tranchera, mais ce qui prédomine c’est l’absence de trajectoire ancrée sur les besoins de notre Pays, une ambition de réformes justes et nécessaires.
- Réunis ici au sein du Conseil départemental du Finistère, que penser de ce discours gouvernemental dont la réforme du Grand age est absente ? Nous l’appelons tous de nos vœux depuis des années, le défi est considérable et le premier ministre ne donne pas d’ambition forte en la matière ? Nos EHPAD souffrent de ce manque de planification.
- A l’heure où la bombe sociale du logement a explosé d’après le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre, on bricole sur les critères de la loi SRU en indiquant vouloir réformer le logement social pour que désormais on s’intéresse davantage aux classes moyennes. Pourtant, les listes d’attente d’attribution de logements sociaux s’allongent de familles modestes voire très modestes et l’effort national n’irait pas massivement pour celles et ceux qui en ont le plus besoin ? Nos concitoyens souffrent, et le gouvernement regarde ailleurs.
- L’annonce de la suppression de l’Allocation de solidarité (ASS) pour les demandeurs d’emploi en fin de droits est un recul net de la politique de solidarité nationale. Cela réduira pour les bénéficiaires de droits à la retraite, et augmentera directement le nombre d’allocataires du RSA. Pour les Conseils départementaux, c’est une très mauvaise nouvelle car sans transfert de ressources, ce transfert de charge grèvera très fortement les budgets départementaux. Alors que de plus en plus de français basculent dans la précarité, le gouvernement retire progressivement les mailles du filet de protection sociale qui accélère ce mouvement. Terrible recul pour les français.
- La constitution complète d’un gouvernement tardant depuis 1 mois, laissant de nombreux secteurs sans capitaine de navire : c’est inédit et terrifiant. Dans le secteur de la protection de l’enfance, durant 1 mois rien n’a réellement avancé alors que la situation des enfants dans le pays s’aggrave.
Ces nouvelles méthodes du “et en même temps”, rythmées par des séquences de communication permanente pour une société avide d’immédiateté, bouleversent considérablement la perception citoyenne de l’action publique. Cela frôle parfois la brutalité, tant les perspectives et le manque de profondeur distendent les liens structurels entre les citoyens et leurs décideurs.
Manque de perspective et de profondeur c’est aussi ce que l’on pourra souligner tout à l’heure lors du débat sur le budget primitif de notre collectivité départementale. Délibérer sur un budget c’est réussir l’adéquation d’orientations politiques avec des éléments budgétaires clairs pour donner une perspective, un cap à notre collectivité, à ses agents et à ses partenaires.
Pour parvenir à fixer un cap sincère, il faut une méthode et des moyens à la hauteur des enjeux.
Tout d’abord, la méthode.
Je crois profondément que nous avons une divergence d’approche sur la méthode de construction de l’action publique : comme pour le gouvernement Attal vous avancez en “chef de guerre” avec autorité et certitudes, en imposant vos décisions – souvent en manquant d’humilité sur la complexité des thématiques- et avec l’assurance que votre vision est unanime. Je considère que la construction de l’action publique doit continuellement répondre aux attentes des finistériens, en associant à la décision les partenaires, les habitants, les agents. La co-construction n’est pas un mantra d’idéologue, c’est l’attente des habitants qui souhaitent participer avec leurs représentants à la décision.
- Lorsque vous organisez progressivement la défaillance de partenaires associatifs, faites-vous avancer l’action publique ? Je pense qu’au contraire, par votre action, le Département recule.
- Lorsque vous imposez de manière assez unilatérale un sort aux places de pêche en Finistère comme à Loctudy, faites vous avancer l’action publique ? Je pense qu’au contraire, vous heurtez les professionnels et les acteurs locaux par manque d’association à l’analyse et à la décision.
La méthode, vous l’aurez compris, nous ne la partageons pas car elle est trop brutale dans son approche, et souvent trop solitaire.
Ensuite, pour parvenir à donner un cap, il faut se doter de moyens à la hauteur des enjeux. J’évoquais le sentiment que le Conseil départemental recule, en effet, dans le champ des politiques départementales, plusieurs secteurs reculent budgétairement.
On y reviendra tout à l’heure sur le champ de l’insertion : la trajectoire d’évolution du nombre d’allocataires montre une diminution de 9% d’allocataires du RSA, mais vous imposez une trajectoire budgétaire à la pente bien plus raide de plus de 11% de diminution (-14M€).
Dans le champ de l’agriculture, thématique d’actualité sur laquelle on reviendra cet après-midi, le Conseil départemental voit son budget reculer de 28% en 2 ans.
Dans le champ des politiques européennes et de coopération internationale, vous divisez par 4 le budget en 2 ans.
Dans le champ de l’action sociale de proximité dont chacun ici connaît l’importance capitale d’un maillage de proximité via les Territoires d’action sociale, le budget est également en recul.
Dans le champ du développement durable, recul en 2 ans de 4,5M€ et ce n’est pas l’intégration de certains projets dans le Pacte Finistère 2030 qui justifie totalement ces réductions budgétaires.
Vous défendez vouloir avancer vite depuis 2 ans et demi, mais dans la réalité de nombreux secteurs, vous donnez l’impression d’avancer alors que vous reculez. Faire semblant d’avancer tout en reculant, j’appelle cela, la politique du Moonwalk. Certes vous bénéficiez d’une aisance de communication mais la simplicité des pactes et des plans d’action contribuent à une stratégie de masquage des reculs que vous imposez.
Il est vrai que toutes les politiques ne reculent pas, il ne serait pas sincère de le laisser penser. En revanche, pour bâtir une action publique saine, transparente et démocratiquement respectueuse, vos délibérations gagneraient en sincérité si elles présentaient factuellement ces reculs budgétaires, en indiquant précisément les engagements financiers que notre collectivité abandonne.
Tous responsables de l’action publique autour de ces bancs, il serait bon d’exprimer unanimement une volonté de renforcement des services publics notamment de proximité. Un vœu unanime, droite et gauche, s’est exprimé du conseil municipal de Brest cette semaine, pour la défense des services publics de proximité, notamment les services postaux. Décideurs de l’action publique en Finistère, nous devons entendre ces expressions collectives d’un nécessaire renforcement des services publics :
- sanctuariser le maillage des CDAS dans notre département, et non les faire reculer comme vous le prévoyez à Lambézellec (pour la plus grande inquiétude des professionnels du secteur),
- le 31 janvier dernier, nationalement les centres sociaux se sont mobilisés pour faire entendre leurs alertes face aux besoins majeurs d’engagements politiques forts pour faire vivre, dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos quartiers, ces centres sociaux qui contribuent efficacement au mieux vivre ensemble. Hélas votre trajectoire budgétaire ne contribue pas dans ce sens en Finistère et au contraire, le financement des centres sociaux en Finistère s’étiole.
- porter un soutien à l’ensemble des parents d’élèves, d’élus locaux et d’équipes éducatives qui se battent contre les nombreuses fermetures de classe et suppression de postes dans les établissements scolaires du Finistère. Ce n’est pas un bon signal pour les services publics de proximité.
- arrêter la culture de l’appel à projet permanent en remplacement des politiques partenariales car cette culture rompt la possibilité de projection des associations qui oeuvrent pour le service public que nous organisons,
- faire confiance à des acteurs locaux en pérennisant leurs subventions et non en supprimant ou réduisant brutalement les crédits départemental comme vous le faites à bien des endroits (dernier exemple en date, l’association ASAD en Pays de Morlaix).
Enfin, plus de services publics, plus d’efficacité dans l’action publique s’accompagnent par une organisation humaine structurée avec des agents de la fonction publique. Je tiens à souligner tout particulièrement l’engagement des hommes et des femmes qui ont réussi à maintenir les services publics durant les dernières crises : celles du COVID de manière durable comme celle d’une crise sociale intensifiée par l’inflation, mais également lors des crises plus ponctuelles des incendies des Monts d’Arrée, de la tempête Ciaran. La fameuse résilience de l’action publique nécessite des moyens à la hauteur des besoins, avec une valorisation juste de tous les métiers, une reconnaissance du haut niveau d’engagement et surtout une pérennité de leur statut. Nous y reviendrons tout à l’heure lors du budget, mais le recours permanent à des agents non-titulaires de la fonction publique (en témoigne le triplement du nombre d’agents contractuels dans notre collectivité en 2 ans) ne permet pas de construire des bases saines d’une organisation de services publics durables.
Convaincre, respecter tous les acteurs du Département et nous doter des justes moyens à la hauteur des ambitions politiques, c’est votre rôle et votre responsabilité auprès de tous les élus réunis ici, auprès des agents dont certains viennent aujourd’hui dialoguer avec nous et à qui j’espère que vous permettrez un moment d’expression ce matin durant notre séance.
Alors, je vous ai entendu à plusieurs reprises vous battre pour obtenir des “buts de guerre”. Si j’ajoute ce vocabulaire – guerrier, encore une fois-, à l’absence de cap et de profondeur de l’action publique de votre projet politique, je vous trouve mûr pour intégrer le gouvernement Attal qui souffre des mêmes symptômes martiaux et vides de sens. Alors, votre téléphone sonnera-t-il pour vous proposer un poste parisien tant espéré ?
En attendant, il manque un cap depuis 2 ans et demi pour penser le Finistère de demain et après demain, hélas, ce n’est pas lors de la séance budgétaire 2024 qu’il sera présenté…
La sincérité fait toujours hélas partie des 1ères victimes de guerre. C’est son absence qui prédomine aujourd’hui dans les orientations politiques nationales, et les orientations budgétaires départementales. Nous le regrettons.
Lien vers le débat complet de la séance plénière : https://www.youtube.com/live/TX6tHZkl0-I?si=cEXuS1PofoiD_Dbv&t=3198