Hommage de Bernard PELLETER à Louis LE PENSEC
En préambule de la séance plénière du Conseil départemental du Finistère le 8 février 2024, Bernard PELLETER a rendu hommage à Louis LE PENSEC disparu le 10 janvier 2024. Hommage suivi d’une minute de silence des 54 élus départementaux.
Voici, la retranscription de son intervention :
Merci Monsieur le Président,
Merci pour cet hommage. Merci de me permettre d’évoquer un peu Louis, ici, dans cette assemblée.
Chers collègues, il n’est pas simple d’évoquer la disparition de Louis Le Pensec, ce cher Louis – affectueusement surnommé le « Grand Louis » – tant sa présence réconfortante, son engagement de toujours et sa bienveillance pour chacun semblaient immuables.
Pour ma part, j’ai perdu un compagnon de route, un ami depuis toujours. Il m’avait fait son 1er adjoint à Mellac en 1977, avant de me proposer le poste de maire en 1997 quand Lionel Jospin instaura une règle anti-cumul. Pendant deux mandats, il fut même mon conseiller municipal et adjoint en charge des « relations extérieures et de la prospective » : c’était tout lui. Il va de soi que ce fut une fonction sans indemnité, il n’aurait pas apprécié que je ne mentionne pas ce dernier point – lui qui est un modèle de droiture et d’une intégrité sans faille.
Ce furent des années merveilleuses et enrichissantes que de le côtoyer toutes ces années. De participer à ces combats pour l’élévation des plus humbles d’entre nous et la réussite du plus grand nombre. De façon plus intime nous avions également ces rapports d’amitié qui nous rapprochent encore davantage aux heures les plus douloureuses de la vie.
Louis avait un attachement viscéral pour sa commune de naissance et de cœur et une action profonde pour ses concitoyens. Il disait que lors de ses 27 ans de maire, il connaissait le prénom de 80 % d’entre eux. C’est dire les relations intimes et privilégiées instaurées au fil du temps entre les habitants de cette commune et leur maire. Ce fut cette même proximité, alliée à une personnalité hors du commun, qui lui permirent d’avoir ce parcours politique incroyable, sans être battu une seule fois dans les urnes. Il était d’une simplicité remarquable qui allait de paire avec une réelle attention portée aux autres.
L’un de ses plus proches collaborateurs il y a peu rappelait ce conseil appuyé qu’il lui donnait : donner autant d’énergie à un dossier essentiel pour l’avenir de centaines et milliers d’emplois qu’à une situation individuelle, et inversement.
Lors d’un premier contact, Louis accrochait le regard. Son élégante et haute silhouette, son profil de breton typique ne laissaient personne insensible. Sourire enjôleur, regard bleu tout en douceur pouvaient néanmoins se figer en autant d’armes de ferme dissuasion. Mais c’était très exceptionnel bien que chez lui, bienveillance, confiance et souci de l’échange prévalaient. Il ne transigeait jamais cependant avec sa conscience ou ses convictions.
« La Mer mérite mieux que cela ! » lança avec fracas le 1er ministre de la Mer lors de la rétrogradation en 1983 de son ministère de plein exercice au rang d’un secrétariat d’État. Remaniement ne signifiait pas reniement. Par fierté et surtout et parce qu’il avait déjà cette idée forte que la Mer était une ressource vitale pour les humains et la planète, Louis Le Pensec se retira avec panache et reparti pour la première élection partielle de l’ère mitterrandienne. Un peu osée et risquée pour certains, c’était oublier le fort ancrage et l’enracinement dans son territoire sud-cornouaillais qui s’étendait peu à peu au Finistère et à la Bretagne.
Louis était né dans une famille très modeste. Il rêvait d’être menuisier. Sur son bureau, un rabot symbolisait cette projection enfantine contrastée. C’était sans compter sur l’école de la République. Bien des fois il rappelait ce couple d’héritiers des hussards républicains qu’il avait porté, forgé toutes ces années primaires pour mieux s’ouvrir ensuite aux études longues et à la vie. En retour pour conforter l’égalité des chances de réussite de nos jeunes, l’effort municipal appuyé envers nos écoles ne fut jamais démenti. Après le bac, il fut justement instituteur quelques petits mois mais tappa dans l’œil de l’inspecteur de l’Académie du Morbihan qui décela son potentiel et le coacha vers l’université. Après ses études, à Rennes puis Paris, il rejoignit l’industrie quelques années avant de revenir enseigner à l’université de Rennes. C’était une étape. L’objectif était établi : rendre à la République ce qu’elle lui avait apporté en s’engageant plus près de l’action publique via la politique.
Cap sur Mellac donc en 1971 où il fut le seul élu au premier tour sur les trois listes présentes. Un des concurrents pensait avoir trouvé la parade pour chasser l’intru : il apprit du tribunal que Louis avait bien un attachement avec Mellac puisqu’il louait une chambre d’étudiant dans le sous-sol de sa sœur. Louis ne laissait rien au hasard.
Je ne mentionne pas les législatives gagnées en 1973 – la seule socialiste sur 7 à l’UDR – que pour vous faire sourire. Louis fut vainqueur du député sortant Jean-Claude Petit dont le slogan de campagne était « Voyez grand, votez Petit ! » : ça ne s’invente pas ! Et pour en terminer avec ces élections, cette formule de François Mitterrand à Brest en 1978 entre les deux tours : « Un jour vous gouvernerez la France ! ». Visionnaire, prémonitoire avec une part de stratégie, sans nul doute.
J’ai voulu Monsieur le Président donner à connaître des côtés peu habituels et un peu intimistes de Louis Le Pensec. De ces années ministérielles, il gardait un souvenir plus particulier de la Nouvelle-Calédonie d’après le drame d’Ouvéa. Son ami Michel Rocard, qui en fit le porte-parole de son gouvernement, avait mis dans le mille en choisissant un homme issu de la ruralité et persuadé de ses valeurs. Cet humaniste savait que prendre le temps nécessaire, écouter chacun, négocier inlassablement étaient les clés pour renouer le dialogue et recoudre la paix sur le caillou.
Je n’ai pas évoqué son appartenance socialiste, elle démarrait de loin avant Epinay, du temps de la convention républicaine : un choix du cœur et de l’anticipation, là aussi. Jusqu’à la fin, il demeura fidèle à ses idéaux même s’il restait un peu mutique sur des choix à peine récents.
Vous l’aurez compris – par delà l’homme politique – Louis Le Pensec était un homme d’une très grande humanité, d’une remarquable ouverture d’esprit et d’une générosité à toute épreuve. Un homme consensuel, reconnu au-delà des positions partisanes.
Sa disparition va créer un vide, mais nous nous rappellerons souvent l’être exceptionnel qu’il était, la personne chaleureuse qui vous bonifiait et tonifiait à chaque rencontre. Sa générosité, sa bienveillance et son écoute attentionnée ont touché la vie de beaucoup de nos concitoyens. Son leadership en Bretagne a conduit à l’émergence d’hommes et de femmes de grande qualité profondément investis dans leur volonté de changer la vie ici en notre péninsule du bout du monde.
Il laisse derrière lui un héritage de solidarités et d’engagements qui nous fait dire avec René Char : « Cet héritage n’est précédé d’aucun testament ».
Bernard PELLETER